Part VI.C. Texts (31/32)

31. Blaise de Parme [mort en 1416]

 

Parmi les auteurs ultérieurs, Blaise de Parme ne se contentait pas de suivre le modèle de Buridan, mais il essayait d’ajouter des éléments nouveaux, notamment sur la question de la localisation de sens commun, qu’il traite dans l’une des questions de son commentaire sur le De anima1, à savoir la question 27 du livre II.

Puisque, ici aussi, nous bénéficions de diverses études récentes, je me limiterai également à un simple résumé.

La question est posée de façon directe : « Consequenter queritur utrum organum sensus communis sit in cerebro vel in corde »2. Les arguments pour la réponse in cerebro sont au nombre de neuf et correspondent à l’opinion des medici, que Blaise cite d’ailleurs sans les nommer, mais en compagnie de Platon (« medici et Plato ponunt ») ; suit la position opposée :

Oppositum tenent philosophi, et specialiter Aristoteles in De sompno et vigilia et in De longitudine et brevitate vite, et sine formidine asserit et concludit cor esse organum primi sensitivi, id est sensus communis3.

Ensuite, selon un procédé habituel de son temps, Blaise annonce comment il va procéder dans cette question :

In hac questione erunt quatuor articuli. In primo notabilia ; deinde conclusiones de quesito ; in tertio articulo dubia ; et in quarto ad rationes.

Cette organisation est traditionnelle et Blaise suit le plus souvent Buridan dans les grandes lignes et même parfois littéralement. Cependant, comme l’ont indiqué Beneduce et Bakker4, Blaise ajoute des éléments nouveaux. D’abord, il insiste beaucoup plus sur l’incertitude concernant la réponse à cette question :

quod organum sensus communis sit in cerebro an in corde non est evidenter conclusum […] quod organum sensus communis sit epar vel in epate non est evidenter reprobatum […]

Il discute aussi les communes sermones (par exemple quand nous sommes affligés, nous disons que notre cœur est affligé, etc.), ainsi que certains passages de la Bible, et il passe ensuite aux rationes et experientie (par exemple quand on coupe la tête d’une abeille ou d’une mouche, on voit le corps continuer à voler, la tête non). Tout cela semble montrer que « le sens commun est primairement et principalement dans le cœur, comme dans son organe principal ». Cependant (la quinta conclusio), il faut affirmer que « dans le cerveau il y a un organe qui sert le sens commun passivement », dans une cellule de la partie antérieure du cerveau où les species sensibilum sensuum exteriorum sont réunies. Et ainsi, on peut voir comment les medici s’accordent avec les philosophi, parce l’organe du sens commun peut être dit dans le cœur ou dans le cerveau, mais de façon différente.

Après cette conclusion attendue, mais illustrée de façon originale, Blaise discute dans le troisième article de sa question des difficultates : la première concerne un problème physiologique (« unde procedit quod illi quibus vene in collo stringuntur cadunt et fiunt insensibiles »5) ; la deuxième semble plus traditionnelle (« ad quid ponuntur organa sensuum exteriorum, cum in corde fiant omnes sensationes »), ainsi que la troisième (cum organum sensus communis sit cor, ad quid in cerebro ponuntur plures ventriculi, quorum aliquis ponitur organum virtutis memorative etc. ») ; mais la quatrième, bien que brève, aborde un thème ignoré par Buridan, à savoir le rapport entre sens commun et l’intellect, puisqu’en réalité ils sont la même entité, bien que nous attribuions un organe au premier et pas au dernier. La réponse est que le sens commun n’a pas besoin d’organe pour comprendre (intelligat) et ainsi il est séparé de la matière, mais pour percevoir les sensibles « determinat sibi certum organum et determinatum membrum »6.

Il est clair que Blaise n’a pas suivi son modèle sans essayer d’aller plus loin, du moins dans cette question.

Puisque les manuscrits dans lesquels le commentaire a été conservés n’ont pas été digitalisés, je n’ai pas poussé les recherches plus loin. Je n’ai donc pas étudié la question II, 26 : « Consequenter queritur utrum evidenti ratione ostendi possit sensum communem esse ponendum ». Ajoutons seulement que les Questiones de anima sont probablement le résultat des cours que Blaise a donné à Padoue en 13857.

 

Bibliographie sélective :

Blasius de Parma, Questiones super libros De anima, conservées dans deux manuscrits : Vaticano, Chigi O.IV.41 et Napoli, Biblioteca Nazionale VII.G.74. Edition de la question II, 27 dans Beneduce et Bakker, pp. 297-308. Ed., traduction partielle et introduction par G. Federici Vescovini, Les Quaestiones de anima di Biagio Pelacani da Parma, Firenze 1974.

La philosophie de Blaise de Parme. Physique, psychologie, éthique, textes réunis par Joël Biard et Aurélien Robert, Edizione del Galluzo 2019 (Micrologus Library 96), contenant notamment :

V. Sorge, « Sens externes et sens internes chez Blaise de Parme »

J.F. Silva, « Blasius of Parma on the Activity of Sense”.

Voir aussi:

C. Beneduce & P.J.J.M. Bakker, “John Buridan and Blasius of Parma on the Localization of the Common Sense”, in Miroir de l’amitié. Mélanges offerts à Joël Biard à l’occasion de ses 65 ans, éd. C. Grellard, Paris 2017, pp. 285-308 ;

J. Biard, “Le système des sens dans la philosophie naturelle du XIVe siècle (Jean de Jandun, Jean Buridan, Blaise de Parme), in Micrologus 10 (2002) pp. 335-361.

 

1 Blasius de Parma, Questiones super libros De anima, voir Bibliographie sélective; cf. Beneduce et Bakker, pp. 293-296.

2 Je suis l’édition de Beneduce et Bakker, op. cit., pp. 298-308.

3 Beneduce et Bakker, op. cit., p. 300.

4 Op. cit., pp.294-296.

5 Cf. Buridan, Questions sur le traité De l’âme, trad. Biard, p. 480 (Arist., De somno et vigilia 2).

6 Beneduce et Bakker, op. cit., p. 108.

7 Federici Vescovini, op. cit., pp. 13-19.

 

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