Part VI.C. Texts (6/32)

6.

 

Anonymus, De potenciis anime et obiectis (1220-1230)

 

Ed. D.A. Callus, “The Powers of the Soul. An Early Unpublished Text”, dans Revue de théologie ancienne et médiévale 19 (1952) pp. 131-170 ; corrections par R.-A. Gauthier (« Le traité De anima », op. cit. infra).

 

Petit traité sur les puissances de l’âme, l’une des sources de Jean de la Rochelle, qui cite alii en contraste avec Avicenne, notamment à propos du sens commun (Callus p. 132) et il s’agit clairement de passages de ce traité.

Conservé dans 3 mss. ; on a supposé que ce traité pourrait être de Guillaume d’Auvergne, mais il ne l’est probablement pas (selon Callus) ; l’auteur était un théologien, avec des connaissances d’Aristote et du « new learning » ; à dater entre 1220 et 1230.

Gauthier compare l’Anonymus De anima et celui-ci (voir ci-dessus n° 5) et montre que le théologien auteur de ce traité a utilisé le premier.

 

Texte :

Sequitur dicere de virtutibus intrinsecus apprehendentibus. Et quia per actus oportet cognoscere potentias, distinguamus dicentes quod actus unus est, post actus particularium sensuum, converti super actum sensibilem, prout dicitur video quod video. Et est alius actus conferre sensibilia diversorum sensuum, ut cum confertur album dulci.  Et iterum acceptio propria sensibilium communium, que sunt magnitudo, numerus, motus, quies, forma et figura. Dicitur autem sensus communis secundum duos ultimos modos, set secundum primum actum dicitur etiam sensus formalis, quia quodam modo complet sensum particularem ; tunc enim completus est cum ab isto eius actus percipitur.

Et est iterum conversio virtutis sensibilis interioris super imaginem tamquam rem, et secundum hoc dicitur imaginatio. Et est iterum alius actus secundum quem movetur vis ab uno phantasmate ad aliud componendo ac dividendo ac si essent res, et secundum hoc dicitur phantasia. Dicitur iterum imagiuativa secundum transformationes que fiunt in sompno, et fit reditio iterum super sensus prout apparet quod videat, et ita de aliis, maxime autem usus est in hac secundum visum.

 

Traduction :

 

Ensuite on doit parler des vertus (virtutes) qui perçoivent de l’intérieur. Et parce qu’on doit prendre connaissance des facultés par les actes, faisons une distinction en disant qu’il y a un acte, après les actes des sens particuliers, à se tourner (converti) vers l’acte sensible, comme lorsqu’on dit je vois que je vois. Et un autre acte est de combiner (conferre) les sensibles des divers sens, comme lorsque le blanc est combiné avec le doux. Et encore, l’acception propre des sensibles communs, qui sont la grandeur, le nombre, le mouvement, le repos, la forme et l’aspect (figura). Et il est appelé le sens commun selon ces deux derniers modes, selon le premier acte il est dit aussi sens formel (formalis, = formativa), parce que d’une certaine façon il complète le sens particulier. Et il est complété lorsque son acte est perçu par ce sens-là.

Et il y a encore une conversio d’une vertu sensible intérieure vers l’image comme si c’était une chose, et selon cet acte elle (la vertu) est appelée imagination. Et il y a encore un autre acte selon lequel la faculté (vis) est mue d’un phantasma à un autre en les composant et les divisant comme si c’étaient des choses, et selon cela elle est appelée phantasia. Elle est encore dite imaginative selon les transformations qui se font dans le rêve, et il y a encore un retournement sur les sens dans la mesure où elle paraît voir, et ainsi des autres (sens), mais cet usage concerne surtout la vue.

 

Thèmes :

Voir sous n° 5 et ci-dessous le commentaire de Gauthier.

 

Commentaire :

 

Texte assez décevant, pour les sens internes, par rapport à l’autre Anonyme, auquel il ressemble et emprunte ; le texte est plus bref, mal organisé et moins approfondi ; il suit Aristote, qu’il semble citer indirectement (à travers l’Anonymus de Gauthier) et le commentaire d’Averroès.

Callus renvoie à Aristote et donne des parallèles avec Jean de la Rochelle, Summa de anima et Tractatus de divisione, et la Summa naturalium d’Albert le Grand (éd. Geyer, Beiträge 34, 1, 1938). L’auteur anonyme semble surtout s’inspirer du traité De anima et de potenciis eius (n° 5).

Voir le commentaire de Gauthier dans la notice sur l’Anonymus De anima (n° 5), qui se termine sur le passage suivant : « Je ne m’étendrai pas sur la curieuse notion de «sensus formalis » que le De potenciis anime et obiectis introduit à la fin de son exposé. Avicenne connaissait une « virtus formalis », mais c’était l’imagination, qui conserve la forme simple perçue par le sens externe. A l’aube du XIIIe siècle était apparue la notion de l’ « intellectus formalis », dans le Liber de causis primis et secundis, chez John Blund, puis dans le De potenciis lui-même (éd. Callus, p. 157, 25-27), chez Philippe le Chancelier tant dans la Summa duacensis que dans la rédaction définitive de sa Somme, chez S. Albert : l’ « intellectus formalis », c’est la « forme » encore en puissance dans l’image mais qui grâce à l’intervention de l’intellect agent «informera » l’intellect possible. Il semble qu’ici le « sensus formalis » soit simplement le sens complètement « formé », achevé : la vision n’est parfaite que lorsque le sens commun perçoit que la vue voit ; le sens commun mérite donc aussi le nom de sens « achevé » : apparition d’une notion bien moderne, mais étrangère à Aristote ».

 

 

Bibliographie sélective :

 

D.A. Callus, “The Powers of the Soul. An Early Unpublished Text”, dans Revue de théologie ancienne et médiévale 19 (1952) pp. 131-170 ;

Gauthier, Thomas, p. 244* ;

R.-A. Gauthier, « Le traité De anima et de potenciis eius d’un maître ès arts (vers 1225). Introduction et texte critique », in Revue des sciences philosophiques et théologiques 66 (1982) pp. 3-55, passim ;

O. Weijers, “The Literary Forms of the Reception of Aristotle: Between Exposition and Philosophical Treatise”, pp. 174-175 ;

M. Bieniak, The Soul-Body Problem at Paris ca. 1200-1250. Hugh of St-Cher and His Contemporaries, Leuven 2010, pp. 128-129.